Vingt ans...
vingt ans que je sert dans la légion, jamais le temps ne m'a paru si long, la campagne estivale de ce nouvel empereur nous a mené par delà les montagnes pour mater les revoltes aux confins de l'empire.
Mes caligae sont fatiguées, et cette auberge, tenue par un gaulois hirsute me semble un havre de paix dans ce monde hostile.
j'entre... la lourde porte de bois massif tourne lentement sur ces gonds, lançant dans la nuit une déchirante complainte.
les conversations cessent à mon entrée.
Les rares voyageurs encore attablés à cette heure tardive tournent vers moi leurs regards embrumés d'alcool.
il y a là deux mercenaires germains dont les mines peu engageantes traduisent la rudesse de leur caractères.
dans le fond de la salle principale, un jeune gaulois dépense sans compter ses sesterces pour les yeux d'une jolie burgonde, je ne serais pas étonné d'apprendre que le tavernier partage avec elle les gains des consommations prises à sa table.
je m'avance vers le comptoir, l'homme derrière le bar s'adresse à moi :
Alors legionnaire, on a perdu le chemin de son campement ?
j'ai trois jours de permission avant de reprendre la route, j'en profite pour visiter le pays.
Je peux avoir une cervoise et de quoi me restaurer ?
Sûr que tu peux soldat ! mais avant dépose, ton bouclier et ton glaive et ton pilum, ici on veux pas de grabuge... tu les récupérera en sortant.
je m'execute et remet mes armes à ce solide gaillard, il ne faut pas froisser les autochtones.
Dans cette partie de l'empire, la civilisation n'est pas encore complètement installée et les peuplades locales n'ont pas encore toutes fait allegence. Mieux vaut ne pas prendre de risque aussi je me garde de donner la petite dague incrustée qui me vient du pillage d'un riche marchand des marches du Nord.
je peu m'installer à cette table ?
Vas y mon gars, prend ta cervoise et installe toi, je t'apporte un plat de choux et de la saucisse bouillie
°0o Les goût culinaires des gaulois sont loin des raffinements des orgies romaines, mais quand on a faim, il faut savoir apprécier la cuisine locale. o0°
les conversations ont repris, passée la curiosité initiale, les clients de la taverne on cessé de s'interesser à moi.
je mange tranquillement depuis quelques minutes quand je me rend compte que le jeune Gaulois s'est totalement détourné de sa cavalière et me dévisage avec insistance.
Il ne semble pas hostile mais son regard, d'un brun profonds semble attendre quelque chose.
J'essaye de lui adresser un sourire amène, mais je peine à paraitre engageant avec mon visage tanné et les cicatrices des guerres passées qui ont creusé mes traits comme des rides mal placées.
ses yeux ne me quittent pas il me rend mon sourire et se lève pour s'avancer vers moi.
J'te connais Romain ! lâche-t'il d'un souffle.
Possible... je crois pas, mais depuis le temps que je suis sur les routes pour defendre l'empire, on s'est peut-etre déjà croisé.
Non, je te connais vraiment ! tu ne t'en souviens peut etre pas mais moi je n'ai pas oublié ton visage.
Je sens que les ennuis vont commencer, machinalement, faisant mine d'ajuster un pli de ma tunique, je tâte le pommeau rassurant de ma dague cachée.
J'avais huit, peut etre neuf ans à l'époque mais tes traits se sont gravé à jamais dans ma mémoire
c'est bien ma veine, ça remonte à des années, j'ai trop de souvenirs de guerre pour me rapeller un gamin de neuf ans, et qu'est-ce que j'ai bien pu lui faire à ce môme pour que mon souvenir l'ait marqué à ce point.
Je peux vous offrir un verre ?
Vous vous rappellez pas de moi ? non bien sûr !
Tu sais petit, depuis le temps que je porte les armes j'ai dû faire plus de mal que de bien par où je suis passé, mais je m'efforce d'oublier les horreurs des guerres, c'est la gloire de Rome et de l'empire qui commandent
Ho ! non, ne vous m'éprennez pas, je vous dois d'être en vie, vous avez sauvé ma famille en nous défendant des pillards, vous et votre légion avez défendu notre village des hordes barbares
ses paroles me réchauffent le coeur et j'accepte avec joie de trinquer avec lui, un instant j'ai eut peur, je ne peux pas dire que je soit fier de tous mes faits d'armes. Il doit y avoir ici ou là, dans d'autres tavernes, dans d'autres villages, d'autres hommes du même age qui rêvent de me faire rendre gorge. Mais ce soir à force de cervoise et d'hydromel, je suis en train de me prendre l'une des plus mémorables cuites de ma carrière militaire, je ne manque pourtant pas d'expérience.
Quand je ferais le bilan de ma vie, j'espère que le souvenir de ce jeune gaulois reconnaissant me reviendra et que je pourrais dire que je n'ai pas tout raté.
Sam 29 Déc - 21:44